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JUDO – L’affaire Clarisse Agbegnenou fait des vagues en France :Le modèle économique remis en question

 

L’affaire Clarisse Agbegnenou suscite le débat et pose la question du modèle économique du judo français. Le directeur général de la FFJ, Sébastien Nolesini, évoque une formule solidaire, qui s’appuie notamment sur son équipementier Adidas, concurrent direct de Mizuno, que la double championne olympique veut garder comme sponsor.

 

Par Larbi I. (avec rfi.fr)

 

Un conflit a éclaté entre la Fédération française de judo (FFJ) et la judokate Clarisse Agbegnenou à l’occasion de son retour à la compétition lors du récent Grand Slam (18 et 19 février). La double championne olympique, sponsorisée par Mizuno, a refusé de porter le kimono de l’équipe de France, partenaire d’Adidas jusqu’au 31 décembre 2024. Agbegnenou a justifié son choix en expliquant qu’elle n’avait plus combattu avec un kimono Adidas depuis plus de cinq ans et qu’elle préférait donc concourir avec un kimono qu’elle connaissait. Adidas, sponsor historique, a en effet succédé au japonais Mizuno comme équipementier de la Fédération en 2021, juste avant le congé maternité de la quintuple championne du monde.

 

« En n’acceptant pas le port du kimono choisi par la fédération, cela remet en cause beaucoup de choses, explique à RFI Sébastien Nolesini, directeur général de la Fédération française de judo (FFJ). Avoir un équipementier nous permet d’équiper l’ensemble des équipes de France. C’est primordial pour un gamin de 16 ans qui n’a pas les moyens et qui entre en équipe de France. On ne peut pas remettre en cause ce système de solidarité. Clarisse (Agbegnenou) en a bénéficié quand elle a débuté avec l’équipe de France. »

 

7 millions d’euros pour le haut niveau

Pour comprendre le conflit qui oppose Agbegnenou à la FFJ, il faut s’intéresser à un modèle économique financé en grande partie par les licenciés. Sur les 30 millions d’euros de budget de la FFJ, environ 80% de cette somme vient de fonds propres. Et particulièrement du prix des licences (plus de 500 000 adhérents répartis sur près de 5 000 clubs), qui rapportent entre 20 et 21 millions d’euros. La FFJ compte aussi sur les revenus de la formation, des animations misent en place sur le territoire et la location de son patrimoine. Pour le reste, la FFJ dispose de financements publics, comme l’Agence nationale du sport (ANS).

 

« Il y a un malentendu avec les athlètes, car dans notre modèle économique, ce sont les licenciés qui payent le haut niveau du judo français à hauteur de 60%. Et ce, grâce à ces professeurs qui donnent leurs cours le soir ou le week-end, pour la plupart bénévoles. Sans eux, on n’aurait pas de licenciés, de budget et de haut niveau », explique Sébastien Nolesini. Le modèle économique de la FFJ reposerait donc principalement sur la bonne volonté du bénévolat.

 

« Le haut niveau ne ramène pas de recettes »

Y a-t-il alors une économie du haut niveau dans le judo français ? Non, si l’on en croit les explications de Sébastien Nolesini. « Le haut niveau ne ramène pas de recettes, c’est avant tout une source de dépenses », dit-il. D’ailleurs, le Grand Slam qui a lieu chaque année au Palais omnisports de Bercy coûte de l’argent à la FFJ. À titre de comparaison, le tennis français tire ses revenus de Roland-Garros, un tournoi qui lui appartient et qui rapporte beaucoup d’argent. Et dès qu’un joueur de tennis accède au professionnalisme, il prend la totalité des frais en charge, comme les voyages, les hôtels ou encore la rémunération de son staff.

 

Aujourd’hui, le budget total consacré au haut niveau, dont bénéficie Clarisse Agbegnenou, représente au total chaque année 7 millions d’euros, financés à 60% par les fonds propres de la FFJ et à 40% par les fonds publics émanant essentiellement de l’ANS.

 

Pour les féminines séniores, l’enveloppe s’élève à 850 000 par an et Clarisse Agbegnenou dispose de 25% de cette somme pour son projet sportif avec le but d’obtenir l’or en 2024 à Paris. Clarisse Agbegnenou possède le plus beau palmarès du judo féminin français, avec une médaille d’argent et deux médailles d’or olympiques (à Tokyo en individuel et par équipes), cinq titres de championne du monde, deux médailles d’argent mondiales et cinq titres européens. « C’est un choix qui respecte la personne et son parcours sportif », précise Sébastien Nolesini à propos de celle qui avait été porte-drapeau au Japon.

 

La FFJ finance les équipes de France, des cadets jusqu’aux séniors élites

En France, l’ensemble des équipes de France, des cadets jusqu’aux séniors élites, sont donc financées par la fédération. Le FFJ prend en charge les déplacements, l’hébergement, les repas et les frais d’inscriptions aux compétitions. « Aujourd’hui, très peu d’athlètes vivent du judo. Environ 80% d’entre eux sont dans des situations très précaires », précise Sébastien Nolesini. À titre d’exemple, le dernier Grand Slam a coûté 2 000 euros par athlètes et par encadrant. Environ 40 personnes, dont 28 athlètes, étaient du voyage pour un coût total estimé à 80 000 euros. Sans la prise en charge de la fédération, la plupart des athlètes auraient déjà arrêté leur sport, alors que la France est la deuxième nation la plus titrée aux Jeux olympiques derrière le Japon.

Pour la FFJ, le soutien d’Adidas représente ainsi en grande partie des dotations matérielles (approximativement 900 000 euros sur une olympiade) et aussi des primes à la performance. « Mettre le kimono d’un autre équipementier, ça nous met en porte-à-faux, je trouve que ce n’est pas respecter l’équipe de France », avait déclaré le président de la Fédération Stéphane Nomis.

 

Lors du dernier Grand Slam, la Fédération a décidé de priver Clarisse Agbegnenou de son entraîneur référent en équipe de France, Ludovic Delacotte, pour la compétition. « On ne peut pas aller sur un tapis avec nos coaches payés par la fédération, avec des partenaires qui ne sont pas les nôtres, ce n’est pas entendable », a aussi déclaré Stéphane Nomis. Selon les règles de la Fédération internationale, lorsque le kimono d’un judoka n’est pas réglementaire, celui-ci ne peut pas avoir son entraîneur à ses côtés pendant ses combats.

 

Le précédent Teddy Riner

Clarisse Agbegnenou, qui compte Mizuno comme sponsor personnel depuis plusieurs mois, souhaiterait porter la marque de son choix sur les tatamis, comme le fait Teddy Riner avec sa marque personnelle Fight Art. « Adidas et Mizuno sont de vrais concurrents, alors que la marque de Teddy Riner est une petite start-up, ce n’est pas un concurrent d’Adidas », a expliqué Stéphane Nomis, qui espère que ce conflit puisse se résoudre « calmement et avec intelligence, entre avocats ».

 

« Avec Teddy Riner, on s’est posé autour de la table en compagnie de ses conseillers juridiques. On a pris contact avec Adidas qui a accepté, car sa marque n’est pas un concurrent direct sur le marché des kimonos. Aujourd’hui, la marque de Riner ne pèse pas sur le marché international. Mizuno, ce n’est la même chose, c’est une marque qui pèse », appuie Sébastien Nolesini. La négociation avec Riner avait été contractualisée avec l’ancien président Jean-Luc Rougé.

 

« J’insiste là-dessus, mais notre fédération est mutualiste et solidaire, elle accompagne tout le monde. C’est notre modèle. Si un des acteurs ne joue pas le jeu, il peut le mettre en péril. On doit garantir les intérêts de la fédération », conclut Sébastien Nolesini.

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