Les manifestations du 8 Mai 1945 mettent fin à la mixité dans les clubs de football « musulmans»
Les manifestations du 8 Mai 1945 en Algérie, au-delà des chiffres terribles du génocide qui s’en est suivi, non encore reconnu officiellement par la France, certains historiens parlant de plus de 45 000 chahids, ont eu un effet politique boomerang sur le sport, en particulier le football : la fin de la mixité dans les clubs « musulmans ».
L’engagement politique des sportifs algériens, leur militantisme tant au sein des partis du PPA, du MTLD que de l’association des Oulémas algériens que dirigeait Abdelhamid Ben Badis avec les cheikhs El Ouartilani, Larbi Tebessi, ou El Okbi à partir des « cercles du progrès » (les fameux Nadi Ettaraki), dont celui de « La place du Gouvernement » à Alger, a fait reculer l’administration coloniale, qui imposait la mixité, avant les manifestations du 8 Mai 1945, au sein des clubs sportifs musulmans. En 1921, la création du premier club de football « musulman », le Mouloudia Club Algérois (MCA), va provoquer la naissance, depuis cette date et jusqu’en 1950-1952, de clubs sportifs dits « musulmans », par opposition à ceux du pouvoir colonial, les clubs des Européens, les « pieds-noirs ». Les statuts du Mouloudia sont clairs sur sa paternité algérienne et musulmane : l’article premier des statuts du club stipule qu’ »il est constitué une société entre jeunes gens musulmans à dater du 31 Juillet 1921″, et l’article deuxième précise: « ce groupement a pour but de réunir tous les jeunes musulmans désirant pratiquer les sports ». Les statuts du MCA n’obéissent donc pas à la loi française de 1901 sur les associations, qu’elles soient culturelles, sportives, sociales, de bienfaisance etc. Tous les autres clubs créés auparavant par des clubs algériens obéissaient à la loi du 1er juillet 1901. En 1926, l’Union Sportive Musulmane d’Oran (USMO), second club musulman, avec l’ES Guelma, vient conforter et soutenir les objectifs politiques du Mouloudia.
Pour les jeunes fondateurs du Mouloudia, c’était durant ces années 1920 la démarche inverse : il s’agissait de convoquer l’esprit militant et rebelle des Algériens, lutter, même à armes inégales contre le système colonial, sur un simple terrain de football, et faire jeu égal cette fois-ci, sinon mieux que les clubs pieds noirs. Ce sont là les grands objectifs des pères fondateurs du Mouloudia et des autrs clubs « musulmans » à la fin de la Première Guerre mondiale. En 1929, une année avant la triste célébration du centenaire de la présence française en Algérie, l’administration coloniale, devant la profusion de clubs musulmans à travers les trois ligues régionales (LAFA pour Alger, LOFA pour Oran, et LCFA pour Constantine), va intervenir pour brider l’enthousiasme des Algériens à s’organiser au sein de clubs sportifs en exigeant l’incorporation de trois joueurs et un dirigeant européens au sein des clubs dits « musulmans ».
Les clubs « musulmans » vont contourner cette mesure en incorporant, comme le Mouloudia d’Alger, l’USMBlida, l’USM Alger, le MC Oran, le MO Constantine, l’USM Oran notamment des joueurs latino-américains, généralement des Argentins, ou Espagnols, mais pas Français. La mixité imposée dans le sport durant cette période coloniale ne sera jamais un handicap, et sera un dopant puissant pour les clubs « musulmans » lors de matchs épiques contre les clubs « pieds noirs ».
Cette exigence de la mixité pour les clubs musulmans va, cependant, s’estomper après les massacres du 8 Mai 1945, et le recul de l’administration coloniale en mettant fin à cette absurdité administrative, tout droit sortie de l’infâme code de l’Indigénat. Car les massacres horribles qui se sont passés à Sétif, Guelma et Kherrata notamment vont provoquer un séisme politique, un choc terrible ! Une autre prise de conscience que face à la sauvagerie du colonialisme, le combat libérateur devient urgent, prioritaire. Ces atroces massacres, les tueries d’Algériens, les multiples facettes du combat politique pour la libération du pays ont fatalement montré la voie aux joueurs Algériens évoluant dans les clubs français : rejoindre les clubs musulmans. C’est ainsi que les meilleurs joueurs des clubs pieds noirs, comme Abderrahmane Ibrir de l’ASSE rejoignent le MC Alger, sinon s’exilent dans les clubs de la métropole.
En outre, tous les clubs dits musulmans (ils étaient alors une vingtaine à travers les trois Ligues de l’élite) ont décidé de lutter de concert pour supprimer l’infâme décision de la LAFA d’incorporer trois joueurs européens au sein des clubs musulmans. Cette décision des autorités françaises, prise à la fin des années 1920 pour empêcher l’éclosion de clubs musulmans, avait pour but de saboter ces formations sportives et les priver d’éléments de valeur. La fin de la Seconde Guerre mondiale marque dès lors la fin de la mixité (joueurs européens dans les clubs musulmans) au sein des trois ligues de football. Le combat de ces clubs a finalement été couronné de succès et, à partir du début des années 1950, les dirigeants des clubs musulmans ont gagné une bataille importante, sur le terrain administratif celle-là, celle de ne plus compter au sein de leurs formations des joueurs européens. Un événement administratif et politique, avant le début de la lutte de Libération, et la fin de l’occupation de l’Algérie.