En sport, il n’y a pas de mystère. Les stars précoces se reconnaissent entre elles. Parfois, elles se cooptent ou s’ignorent, se détestent ou se respectent, aux yeux de tous ou en silence. Les médias aiment raconter ces histoires, tisser des parallèles, construire des légendes. En gymnastique, une athlète capte toute la lumière. Tout le monde est intarissable à son sujet. Le basketteur de NBA, LeBron James, dit d’elle qu' »elle est la meilleure, c’est aussi simple que cela ». Simone Biles est une superstar. L’américaine de 27 ans est la gymnaste la plus titrée de l’histoire. À la lecture de son tableau de récompenses, les âmes sensibles en auraient le vertige. 37 médailles (7 olympiques dont 4 en or, trente breloques mondiales, dont 23 sacres). À son entrée sur le tapis dans l’Arena Bercy dimanche 28 juillet, l’ovation est immense. Tous les regards sont rivés sur elle. Il n’y a guère que les yeux brillants de ses fans : Ariana Grande, Jessica Chastain, Tom Cruise pour détourner l’attention de la foule.
Dans l’ombre, un autre phénomène joue sa propre partition. Une jeune Algérienne de 17 ans. Kaylia Nemour. En cette journée de qualification qui mêle épreuves au sol et agrès (poutres, saut de cheval et barres asymétriques), les initiés de gymnastique gardent un œil avisé sur cette athlète. La vice-championne du monde en barres asymétriques est la star de demain ou peut-être de cette olympiade ?
Quand les étoiles s’entremêlent, l’histoire s’écrit d’un trait. L’année dernière, la Fédération internationale de gymnastique a validé 11 nouveaux éléments (mouvements) dans la discipline. Le BILES II en saut, signé Simone Biles aux championnats du monde d’Anvers en octobre dernier. Et le NEMOUR en barres asymétriques réussi aux Championnats d’Afrique à Prétoria en mai 2023. Le signe, s’il en est, que les destins de l’Américaine et de l’Algérienne sont peut-être intimement liés.
Dans le code de pointage des arbitres internationaux, le Nemour est désormais classé G (0.7 pt), la valeur la plus haute de cet agrès (barres asymétriques). Une reconnaissance. À Paris, Kaylia Nemour porte les espoirs olympiques de l’Algérie (la dernière médaille remonte aux JO de Londres en 2012). Un espoir presque inespéré, tant l’histoire de l’Algérienne est singulière. Il y a un peu plus d’un an, la gymnaste concourait sous les couleurs de l’équipe de la France. L’athlète s’entraîne à Avoine-Beaumont, près de Chinon (France). En 2021, dans la perspective des Jeux Olympiques de 2024, la FFG (fédération française de gymnastique) souhaite déraciner l’adolescente et ses entraineurs pour la préparer à l’INSEP (pôle national d’entrainement) à Saint-Étienne. Refus ferme de son entourage. C’est une première fracture entre les 2 parties. Dans la tête de l’adolescente, les Jeux olympiques de Paris occupent déjà son esprit. Durant cette période, Kaylia Nemour souffre des deux genoux. Les raisons du mal opposent une fois encore la Fédération et son équipe d’entrainement. L’opération est inévitable par deux fois. C’est le moment du temps long, huit mois de rééducation. Patiente et appliquée, rien n’entame le rêve de la gymnaste : participer aux Jeux olympiques de Paris 2024.
En mars 2022, motivée pour reprendre le chemin de l’entrainement, les médecins de la Fédération française ne la jugent pas assez rétablie physiquement. Interdite de participer à une quelconque compétition pour une durée indéterminée, la rupture est consommée. Française de naissance, née d’un papa algérien, Kaylia Nemour décide de changer de nationalité sportive, elle se tourne vers l’Algérie. En juillet 2022, la FIG (fédération internationale de gymnastique) valide cette décision. La France voit rouge. La gymnaste est contrainte de respecter le cadre réglementaire d’une année de carence avant de rejoindre son nouveau pays d’accueil. Une situation jugée inacceptable pour la famille de l’athlète, cette décision obstrue une fois encore les ambitions olympiques de l’adolescente. Saisie, la ministre française des sports, Amélie Oudéa-Castera, encourage la Fédération française à mettre fin au blocage. En mai 2023, l’Algérienne Kaylia Nemour est sacrée championne d’Afrique au concours général à Prétoria.
Il n’y a pas de grande championne sans adversité. En 2021, à Tokyo, Simone Biles arrive aux jeux en star (quadruple championne Olympique à Rio). Les attentes sont à la hauteur de son statut, mais le mental n’y est pas. Ses prestations sont éloignées de son niveau même si elle prend le bronze à la poutre.
Le 27 juillet, elle se retire du concours complet par équipes et le lendemain de toutes les autres compétitions pour préserver sa santé mentale. Elle argue face à la presse une perte de repère dans l’espace. Rares sont les athlètes à reconnaître que la pression peut être une douleur insaisissable. Plus tard, le mot dépression sera prononcé. En octobre 2023, aux mondiaux à Anvers, l’Américaine signe un retour fracassant (5 médailles dont 4 titres). Femmes fortes, femmes de caractères, Simone Biles et Kaylia Nemour ont leur propre vie, leur propre trajectoire. Dimanche passé, l’une et l’autre se sont qualifiées pour le concours général le 1er aout prochain. L’Américaine est déjà entrée dans l’histoire en réalisant un Yurchenko double carpé en qualification. C’est la première fois qu’une athlète réalise cet exploit dans des Jeux Olympiques. L’Algérienne a certainement observé avec admiration son ainée. Kaylia Nemour nourrit le secret espoir de décrocher une médaille d’or, le 4 août prochain, aux barres asymétriques pour l’Algérie.