S’il espère bien se lancer à l’ATP de Shanghai au 2e tour face au qualifié australien Rinky Hijikata, Stefanos Tsitsipas traverse indéniablement une période creuse de sa carrière. Sa belle finale à l’Open d’Australie exceptée, le Grec a beaucoup déçu ces derniers mois, lui que l’on attendait à une époque comme l’un des successeurs du « Big 3 ». Mais comment et pourquoi en est-il arrivé là ?
Un engagement et une sensibilité excessifs
Depuis son éclosion sur le circuit marquée notamment par une première finale surprise en Masters 1000 à Toronto en 2018, Stefanos Tsitsipas vit intensément sa carrière de tennisman professionnel. A tel point qu’il a très vite assumé de vouloir bousculer la hiérarchie figée incarnée par les trois monstres Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic. Et il a joint les paroles aux actes en parvenant à les battre très tôt : le Serbe au Canada donc, le Suisse dès l’Open d’Australie 2019 et l’Espagnol devant son public à Madrid quelques mois plus tard.
Mais cet engagement de tous les instants, ce dévouement total à son métier-passion s’accompagne d’une grande sensibilité et d’une réelle difficulté à rebondir après des échecs cruels. « J’ai eu des défaites dures à encaisser, des nuits où je ne pouvais pas dormir à cause de la douleur et de la souffrance d’avoir perdu des matches que je n’aurais pas dû perdre. J’ai beaucoup d’amour et de haine pour le jeu en même temps », a-t-il d’ailleurs récemment confié dans une colonne publiée sur le site de l’ATP.
Les conférences de presse suivant ses revers à Roland-Garros au bout des cinq sets contre Stan Wawrinka en 8e de finale en 2019 et contre Novak Djokovic en finale en 2021 sont ainsi restées dans les mémoires. Tsitsipas y avait alors révélé les failles d’un excessif. Après l’avoir battu au 3e tour à Wimbledon en 2022, dans un choc entre deux conceptions extrêmes du tennis, Nick Kyrgios ne s’était pas privé de constater l’isolement dans le vestiaire du Grec. Tsitsipas serait-il trop dans sa bulle ? Celle-ci a en tout cas éclaté ces derniers mois : son idylle avec Paula Badosa et sa recherche d’équilibre entre vies professionnelle et privée en sont les manifestations.
Une faille béante en revers
Après avoir été balayé par Rafael Nadal en demi-finale de l’Open d’Australie 2019, Stefanos Tsitsipas avait déjà accusé le coup devant les journalistes. En toute sincérité, il s’était alors demandé à haute voix comment Roger Federer avait réussi à battre le Majorquin avec un revers à une main. Sur terre battue, le Grec en avait plutôt fait une force ces dernières années grâce à sa capacité à imprimer du lift à la balle et donc à mettre du volume dans ses frappes.
Mais loin de s’améliorer avec le temps, ce coup est devenu une faiblesse de plus en plus identifiée dans son arsenal. Son opération du coude lors de l’intersaison 2021-2022 n’a probablement rien arrangé à l’affaire et lui a peut-être fait perdre de la puissance. En février dernier, Tsitsipas avait aussi décrié les balles utilisées sur le circuit, de plus en plus lourdes et qui changent souvent d’un tournoi à l’autre, responsables selon lui de nombreuses blessures dont une à l’épaule le concernant.
Résultat : le Grec est de plus en plus systématiquement fixé de ce côté. A ce titre, la stratégie employée par Carlos Alcaraz lors de leur quart de finale à Roland-Garros a ressemblé à une entreprise de démolition systématique et méthodique. Enfoncé sur son revers, Tsitsipas s’est trouvé contraint de reculer et donc incapable de pratiquer son tennis offensif. Cette faiblesse a aussi mis en évidence ses lacunes en slice. Même s’il l’a travaillé, son revers slicé n’est toujours pas assez efficace pour casser le rythme et changer la dynamique de l’échange.
Une nouvelle génération trop forte ?
Si Stefanos Tsitsipas donne l’impression de tant stagner, c’est peut-être aussi parce que les autres progressent vite, voire trop vite pour lui. Et par les autres, il faut comprendre les jeunes loups qui se sont installés dans le Top 10 à ses côtés. Carlos Alcaraz (2e) et Jannik Sinner (4e) le devancent même au classement ATP, et c’était aussi le cas de Holger Rune n’est que deux rangs derrière (8e). Le Grec n’a d’ailleurs jamais battu ni l’Espagnol (5-0) ni le Danois (2-0) en sept confrontations.
Et il est plus que conscient du problème. « Il y avait une ouverture, en gros entre 2018 et 2020, avant qu’Alcaraz, Sinner et Rune n’arrivent. Toutes les lumières étaient alors sur Alexander Zverev, Dominic Thiem et moi. Maintenant, la scène a changé pour ainsi dire, nous ne sommes plus si jeunes. Les jeunes ont beaucoup d’énergie, de soif de victoire et aucune peur. Ils jouent librement », a-t-il récemment estimé dans la presse grecque. Un aveu qui en dit long sur sa mentalité du moment. En 2023, il n’a toujours pas battu le moindre Top 10.
Un projet de jeu flou
A 25 ans, Stefanos Tsitsipas a-t-il donc d’ores et déjà laissé passer sa chance de gagner un Grand Chelem ? La question peut sembler folle à ce stade encore précoce de sa carrière, d’autant que sa dernière finale ne date que de Melbourne en début de saison. Mais le constat le plus alarmant est peut-être le suivant : le Grec donne l’impression de ne pas savoir où il veut aller tennistiquement.
Sa rupture avec son père, l’agité (voire nocif) Apostolos, au profit de Mark Philippoussis aurait pu lui donner un second souffle. Mais Tsitsipas a fait machine arrière comme il l’a confirmé cette semaine à l’ATP. « Je voulais essayer avec un coach différent et voir comment ça pourrait marcher. On était un petit peu en décalage de bien des manières. Et ne pas avoir mon père avec moi là-bas m’a donné l’impression de perdre en quelque sorte une partie de mon identité en tant que joueur. Je n’ai pas été capable de m’adapter aux nouveaux préceptes ou méthodes de Mark », a-t-il encore lâché. Le Grec s’est-il ainsi condamné à l’inertie ? La suite le dira.