Il n’y a qu’à regarder son récent palmarès, « anormalement » changeant, pour s’en rendre compte : l’US Open, au moins depuis quelques années, est devenu le Grand Chelem le plus difficile à apprivoiser. Un constat qui peut s’expliquer par son caractère extrêmement exigeant sur tous les plans, et peut-être aussi son positionnement tardif dans le calendrier.
Si l’on se fie à la tendance du moment, ni Carlos Alcaraz ni Novak Djokovic ne gagneront l’US Open cette année. Voilà en effet cinq années consécutives que le Grand Chelem américain s’offre à cinq joueurs différents et l’Espagnol, tenant du titre, tout comme le Serbe, vainqueur en 2018, sont déjà dans le lot. Alors, à qui le tour cette année ?
Évidemment, plus une série dure, plus elle s’approche de la fin. Et celle-ci, sans aucun doute, particulièrement. Mais l’idée générale est là : aucun autre tournoi majeur ne propose un pareil turn-over chez ses lauréats, du moins depuis quelques années. Et c’est valable aussi chez les filles, à l’exception de Wimbledon où sept joueuses différentes ont remporté les sept dernières éditions (série en cours).
Si l’on étend ces chiffres à l’ensemble de l’histoire du jeu, le constat est similaire. L’US Open est un tournoi qui s’apprivoise plus difficilement que les autres, y compris pour le Big Three qui, on en avait parlé ici-même l’an dernier, n’a jamais vraiment réussi à faire de New York son royaume, comme Rafael Nadal a su le faire à Roland-Garros, Roger Federer à Wimbledon et Novak Djokovic à l’Open d’Australie.
Federer, qui a réussi à y triompher cinq fois (d’affilée) entre 2004 et 2008, demeure le champion le plus titré à Flushing Meadows, mais il doit partager cet honneur avec Jimmy Connors et Pete Sampras. Croyez-le ou non : depuis le dernier titre du Suisse il y a donc 15 ans, aucun autre champion n’a réussi à conserver son titre dans le Arthur Ashe Stadium, qui a vu passer dans l’intervalle dix vainqueurs différents. Édifiant. Un peu trop pour être le simple fruit du hasard.
A l’US Open, pas une journée tranquille, pas une nuit calme
Au sens géographique du terme, c’est une certitude : l’US Open est le Grand Chelem le plus difficile à gagner. Situé dans le borough du Queens, loin de celui de Manhattan où la plupart des joueurs séjournent durant le tournoi, le Billie Jean King National Tennis Center n’est accessible qu’après un trajet qui peut prendre près d’une heure, voire plus si le trafic s’en mêle, ce qui est régulièrement le cas à New York. Avant même de poser un pied sur le court, c’est fatigant.
Fatigue. Voilà d’ailleurs probablement l’un des mots qui revient le plus souvent chez les joueurs et les joueuses à New York. L’US Open est un tournoi fatigant, à bien des égards. On a coutume de dire que Roland-Garros est le tournoi du Grand Chelem le plus difficile sur un plan physique, Wimbledon sur un plan technique, l’Open d’Australie sur un plan météorologique… L’US Open, lui, est exigeant sur tous les plans. Absolument tous.
« Tous les Grands Chelems ont leurs spécificités : l’Open d’Australie a ce côté très relaxant, Roland-Garros est un tournoi avec beaucoup d’émotions, Wimbledon a ses traditions… A l’US Open, c’est de l’excitation permanente, il y a toujours une forme de chaos, le public peut devenir complètement fou… Honnêtement, c’est un des tournois les plus difficiles à gagner et spécialement pour les plus jeunes, parce qu’il y a par ailleurs beaucoup de distractions à Manhattan », avait analysé l’an dernier l’Américain Michael Chang qui, aussi précoce fût-il, avait dû « attendre » ses 24 ans pour atteindre enfin la finale à New York, la quatrième et dernière de sa carrière en Grand Chelem, en 1996.
Au passage, ses propos n’ont fait que renforcer la performance de Carlos Alcaraz, devenu l’an dernier, à 19 ans et 3 mois, le deuxième plus jeune vainqueur de l’histoire du tournoi derrière Pete Sampras, vainqueur en 1990 à 19 ans et 4 semaines. Ils expliquent aussi pourquoi Novak Djokovic a choisi, lors de sa dernière venue en 2021, de s’établir dans le New Jersey plutôt que de « subir » l’atmosphère énergivore de Manhattan.
On l’a vu encore cette année avec l’épisode de ce supporter fou insultant dans les tribunes l’ancien joueur Viktor Troicki, désormais coach de Hamad Medjedovic, pendant un match de son poulain lors des qualifications du tournoi : à New York, il n’y pas une journée tranquille, et encore moins une nuit calme.
L’ambiance y est éternellement électrique, et si l’on rajoute à cela « le bruit et l’odeur » – et encore, c’était bien pire du temps où les avions étaient autorisés à voler à l’aplomb du stade pour atterrir sur une piste de l’aéroport voisin de La Guardia -, on comprendra à quel point il est compliqué de garder son calme et sa concentration à l’US Open.
Le « Combo » chaleur-humidité, ou la définition de l’enfer
Tout particulièrement lorsque les corps et les esprits sont fatigués, ce qui est là encore souvent le cas à l’US Open. Sa position de dernier Grand Chelem dans le calendrier, à un stade déjà bien avancé de la saison, lui vaut de voir débarquer pas mal de joueurs déjà un peu sur la jante, quand ce n’est pas carrément en bout de course.
Djokovic y a lui-même plusieurs fois atteint le point de rupture : ses trois dernières venues se sont soldées par un abandon en 2019 contre Stan Wawrinka (en huitièmes), une disqualification en 2020 contre Pablo Carreño Busta (en huitièmes également) et un craquage nerveux sous la pression lors de la finale 2021 contre Daniil Medvedev, alors qu’il jouait un match pour le Grand Chelem calendaire.
Il est vrai, on l’a vu encore récemment à Cincinnati, que le Serbe n’est pas un grand fan de la météo qui règne souvent à cette époque de l’année dans l’Est américain, où la chaleur et le taux d’humidité atteignent des niveaux qui, les deux combinés, frôlent parfois l’insupportable. Egalement lessivé par ces conditions, Roger Federer avouera qu’il avait « failli tomber dans les pommes » lors de son 8e de finale nocturne contre John Millman en 2018.
Richard Gasquet, qui est du genre à transpirer beaucoup, y a lui aussi connu pas mal de déboires par le passé. Aussi l’an dernier, au moment de disputer son 1er tour face à Taro Daniel sous une de ces chaleurs moites qu’il abhorre, il avait pris ses dispositions : « Une quinzaine de polos, six ou sept paires de chaussettes, trois paires de chaussures et j’ai quasiment tout utilisé ! Quand tu arrives là, tu sais que tu vas souffrir… »